Livre de Greil Marcus (Editions Allia-1998). 560 pages.-Il y a une figure qui apparaît et réapparaît tout au long de ce livre. Ses instincts sont fondamentalement cruels ; sa manière est intransigeante. Il propage l’hystérie, mais il est immunisé contre elle. Il est au-delà de la tentation, parce que, malgré sa rhétorique utopiste, la satisfaction est le cadet de ses soucis. Il est d’une séduction indicible, semant derrière lui des camarades amers, comme Hansel ses miettes de pain, seul chemin pour rentrer chez soi à travers un fourré d’excuses qu’il ne fera jamais. C’est un moraliste et un rationaliste,mais il se présente lui-même comme un sociopathe ; il abandonne derrière lui des documents non pas édifiants mais paradoxaux.Quelle que soit la violence de la marque qu’il laissera sur l’histoire, il est condamné à l’obscurité, qu’il cultive comme un signe de profondeur. Johnny Rotten/John Lydon en est une version ; Guy Debord une autre. Saint-Just était un ancêtre, mais dans mon histoire, Richard Huelsenbeck en est le prototype.-Greil Marcus, dont aucun des ouvrages n’avait encore été traduit en français, est l’un des plus célèbres “rock critics” américains. Dans Lipstick Traces, son ouvrage le plus ambitieux, il retrace “l’histoire secrète“du XXe siècle, en mettant au jour le fil rouge qui relie la révolte des anabaptistes de Münster à celle des punks, en passant par les dadaïstes et les situationnistes.